Michael A. Verney: A Great and Rising Nation. Naval Exploration and Global Empire in the Early US Republic (reviewed by Soazig Villerbu)
Les cartes des explorations du globe au xixe siècle, de ce côté-ci de l’Atlantique, ne représentent jamais les expéditions menées par les États-Unis : leurs auteur.es oublient avec une belle régularité que ceux-ci ont participé à un mouvement non exclusivement européen. Ce fut même un enjeu fort des expéditions étatsuniennes, nous dit Michael Verney, que de signaler au monde l’existence du pays, que de témoigner qu’il avait pris sa place dans le concert des puissances capables de se projeter sur les océans et outre-mer, même si cela n’eut qu’un temps, des années 1830 à 1850. Dix-sept expéditions furent alors lancées, parmi lesquelles Verney en sélectionne sept dont il raconte l’histoire. Chacune d’entre elles est déjà bien connue mais Verney veut en proposer une interprétation neuve selon laquelle les États-Unis s’inscrivent dans une histoire globale tout en jouant leur propre partition. Imiter les Européens ne signifiait pas, selon lui, que les projets fussent parfaitement identiques des deux côtés de l’océan.
Sont donc passés en revue les premiers projets avortés des années 1820 puis la grande Exploring Expedition dont les six navires œuvrèrent dans le Pacifique entre 1838 et 1842, celle de 1846-1847 en Palestine et enfin celles qui, dans les années 1850, pénétrèrent d’une part l’Amérique du Sud en descendant l’Amazone ou en remontant le Paraná, et participèrent, d’autre part, dans l’Arctique, à la recherche de l’expédition perdue du Britannique Franklin. Le 16 décembre 1856, la reine Victoria et le prince Albert montaient à bord du HMS Resolute, un navire britannique auparavant bloqué dans les glaces et abandonné de son équipage. Les États-Uniens l’avaient récupéré et ramené en Angleterre : la réussite était entière, les États-Unis se voyaient reconnus comme des égaux par l’ancienne métropole et un rapprochement diplomatique était possible.
Mais les expéditions servirent donc aussi à marquer une spécificité, à définir l’identité de la nation. Verney relit des sources classiques pour s’inscrire dans une historiographie déjà active sur la question du rôle de l’expansion maritime dans l’affirmation de soi états-unienne1. Il le fait autour de cinq thèmes majeurs qui permettent de confirmer le portrait des États-Unis antebellum plutôt que d’apporter du neuf. Ce que Verney dévoile, c’est un moyen supplémentaire par lequel le pays se construit davantage qu’une nouvelle interprétation de cette fabrique nationale. La politique raciale est omniprésente dans ses pages, sous deux aspects : l’élan expansionniste est d’abord celui de la société blanche, et les expéditions lancées en Amérique du Sud visaient à repérer les lieux où les États-Unis auraient pu implanter des colonies esclavagistes, en imaginant par ce biais développer des territoires qu’ils imaginaient déshérités aux mains de populations incapables de les mettre en valeur. Il faut bien sûr comprendre cette politique également en termes de genre : l’impulsion blanche est également masculine, c’est un monde d’hommes – matelots et officiers – qui exporte l’image des États-Unis et leur puissance. Verney traite également du capitalisme, sans le définir, pour postuler que l’expansion, notamment dans le Pacifique, sert les intérêts marchands de l’Amérique jacksonienne. Il revient aussi sur l’identité religieuse du pays puisque c’est sa composante évangélique qui promeut et mène une expédition en Palestine ayant pour objectif de prouver sur place la véracité de la Bible. Et lorsque Lynch, qui commandait cette expédition, rencontre le sultan ottoman en 1848, il le compare à Montezuma, alors même que les États-Unis viennent de vaincre le Mexique : le lien avec l’expansion continentale semble donc clair pour Verney, comme lorsqu’il compare le settler colonialism pratiqué dans l’Ouest au sailor colonialism dans le Pacifique. In fine, l’ouvrage est d’une lecture agréable, sur un mode narratif plaisant, et confirme le portrait offert par une génération entière d’historiennes et historiens des États-Unis de la Jeune République.
Notes
1 Dane A. Morrison, True Yankees: The South Seas and the Discovery of American Identity, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2014 ; Brian Rouleau, With Sails Whitening Every Sea: Mariners and the Making of an American Maritime Empire, Ithaca, Cornell University Press, 2014 ; Nathan Perl-Rosenthal, Citizen Sailors: Becoming American in the Age of Revolution, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2015.