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  • Metadata

    • Document type
      Review (monograph)
      Journal
      Revue d'histoire du XIXe siècle
      Pages
      190-192
      Author (Review)
      Language (Review)
      Français
      Language (Monograph)
      Français
      Author (Monograph)
      Title
      Le Désinformateur
      Subtitle
      Sur les traces de Messaoud Djebari, Algérien dans un monde colonial
      Year of publication
      2022
      Place of publication
      Paris
      Publisher
      Fayard
      Series
      L’épreuve de l’histoire
      Number of pages
      268
      ISBN
      978-2-213-72088-3
      Subject classification
      Biographies, genealogy, Historical Geography, Political History, Social and Cultural History
      Time classification
      19th century
      Regional classification
      Algeria
      Subject headings
      Djebari, Messaoud
      Original source URL
      10.4000/rh19.9099
      recensio-Date
      Oct 27, 2023
      recensio-ID
      176a92e341ef4d96a9d7bec4cbc35902
      DOI
      10.4000/rh19.9099
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Arthur Asseraf: Le Désinformateur. Sur les traces de Messaoud Djebari, Algérien dans un monde colonial (reviewed by Alain Messaoudi)


En menant ses recherches sur l’impact, entre 1880 et 1930, de nouvelles techniques de presse qui ont mis la société algérienne au contact du monde1, Arthur Asseraf a croisé une figure qui a retenu son attention, à la frontière du monde des colonisateurs et des colonisés. Messaoud Djebari, qui n’était pas issu des élites musulmanes traditionnelles, semblait témoigner, de façon très précoce, d’une forme moderne de politisation. Il s’était fait connaître de la grande presse, jusqu’à voir son nom imprimé à New York. C’est de cette enquête à hauteur d’homme que rend compte Le Désinformateur. L’ouvrage est construit comme un roman d’apprentissage, où le jeune historien parti sur les traces de Djebari est à la recherche d’une vérité qui passe par la compréhension de ce qui le différencie du personnage dont il retrace l’histoire. Le lecteur est conduit à suivre Arthur Asseraf dans son enquête, à partager ses interrogations, ses frustrations. À travers les questions que soulèvent les traces conservées, Arthur Asseraf éclaire les enjeux d’une situation coloniale et l’agency des colonisés. Le jeune Messaoud Djebari fit partie, dans les années 1880‑1890, de ces rares nouvelles élites musulmanes dont le parcours scolaire permit d’accéder à des positions d’intermédiaires, essentielles dans une société où les cadres étrangers et les populations ne partageaient pas le même langage : l’ancien élève de la médersa de Constantine fut chef de gare et instituteur adjoint en Algérie, avant de devenir interprète militaire en Tunisie, à l’avant-garde des lettrés du certificat d’études primaires chers à Omar Carlier2. Il s’en démarqua cependant en accédant à un espace médiatique : Messaoud Djebari s’est, de façon éphémère, fait un nom en France au début des années 1890 comme explorateur de l’Afrique, avant de retomber dans l’oubli.

Le livre est construit en sept chapitres : les trois premiers sont articulés autour des affaires qui ont fait connaître Messaoud Djebari, les quatre suivants s’interrogent sur le sens que l’on peut donner à cette vie et à cette enquête – le lecteur découvre les pièces éparses à partir desquelles l’historien a pu reconstituer la trajectoire de Djebari. L’enquête part d’un document dans lequel le doctorant a cru trouver un témoignage rare et précieux d’une forme de politisation nouvelle chez les musulmans d’Algérie en 1881 (chapitre 1). Le consul de France à Tunis adresse au ministère des Affaires étrangères un compte rendu de réunion qui semble attester de l’existence d’une association secrète réunissant des lettrés musulmans de la région de Guelma, qui s’inquiètent de voir les compétences du droit musulman sans cesse diminuer, et de la perspective d’une extension de l’occupation française à la région de Tunis. Un des hommes cités dans le document, Messaoud Djebari, reconnaît l’existence de la société et se montre particulièrement disert, malgré les dénégations des autres lettrés. Or, il réapparaît dans la documentation dix ans plus tard, alors que, devenu interprète militaire au sein des troupes françaises de Tunisie, il se voit confier par le commandant François Rebillet une mission d’exploration en Afrique subsaharienne en compagnie d’un lettré du Bornou, Fellati (chap. 2). Parti de Lagos en décembre 1892, il doit traverser le Sahara pour regagner Tunis. Mais Fellati et lui se séparent, et c’est à Porto Novo que l’on retrouve Djebari en janvier 1894 : endetté, il tente de se suicider. Rebillet doute de la vérité de ce qu’il raconte de son voyage : on le suspecte d’affabuler. Sans produire de rapport officiel ni s’accorder avec l’officier sur ce qu’il convient de dire publiquement ou non, Djebari entend utiliser à son profit cette expérience en s’exposant médiatiquement comme explorateur (chap. 3). C’est que l’interprète auxiliaire a acquis par son mariage le statut de citoyen français et est devenu un notable. Son récit s’amplifie pour attirer l’attention d’un large public, avec succès : il aurait rencontré chez les Touaregs des survivants de la mission Flatters de 1881. Mais Djebari mesure mal ses forces. Le « monomane » (c’est ainsi que le qualifie Rebillet) est licencié de l’armée.

Arthur Asseraf s’interroge sur le sens d’une vie, à partir de l’analyse de son dossier de carrière militaire (chap. 4). Puis sur un engagement politique qui associerait républicanisme radical et défense des droits des musulmans, et préfigurerait, d’une certaine manière, les revendications portées plus tard, via le Parti du peuple algérien et le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, par le Front de libération nationale. Et il s’interroge encore sur la dimension antisémite de cet engagement : c’est dans la presse antijuive que Djebari tente de continuer à attirer l’attention du public, en prétendant que le marquis de Morès n’aurait pas été tué lors de son expédition vers le Soudan en 1896. La vérité ne lui importe pas comme telle, la parole n’est pour lui qu’un instrument (chap. 5). Tout au long du livre, l’auteur rend compte des étapes de son travail depuis la découverte du premier document en 2014 : c’est grâce à la tenue d’un carnet de bord à partir de 2018, et seulement après avoir entendu un avis libérateur (il fallait renoncer à vouloir tout comprendre de Djebari), assorti d’un conseil de lecture (Bel‑Ami, une fiction), que le livre a pu prendre forme à partir de 2020. Arthur Asseraf donne un aperçu de sa documentation, via des reproductions d’archives, de ses lectures (Le Fromage et les vers de Carlo Ginzburg, Le Meunier, les Moines et les Bandits et La Vie ailleurs de Fanny Colonna, Le Médecin qui voulait être roi de Guillaume Lachenal, L’Étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampaté Bâ, L’Adversaire d’Emmanuel Carrère…) et des conditions matérielles d’une enquête précisément documentée3 qui n’aurait pu être possible sans la numérisation massive des imprimés. Pourtant, même si les collectes sur la toile semblent à l’auteur avoir été plus fructueuses qu’un voyage à Tunis, ce sont bien les notes prises au cours de ce séjour qui nourrissent le récit. Arthur Asseraf s’arrête en particulier sur sa position (ses origines familiales, son goût de la fiction, le contexte politique à la suite des attentats de 2015 à Paris) par rapport à son objet dans le chapitre 6 (« Comment se pratiquent les enquêtes ») avant un chapitre final centré sur la dernière trace écrite qu’on a du personnage, la mention du divorce qui a été prononcé à ses torts à Tunis en 1903.

À partir de Messaoud Djebari, trickster à la manière du Léon l’Africain de Natalie Zemon Davis4, mais in fine déçu et défait, devenu juridiquement pleinement français et conservant pourtant la marque de son origine, y compris lorsqu’il prend l’habit de l’explorateur français, Arthur Asseraf interroge les identités, les statuts et les rôles dans une société coloniale. Les nombreuses questions posées au fur et à mesure de l’enquête font de ce livre une très bonne initiation à la connaissance des sociétés maghrébines de la fin du xixe siècle – une connaissance qui, comme le rappelle justement la conclusion de l’ouvrage, n’est pas accumulation de data permettant de produire de l’information, mais inter-relation.

Notes

1 Arthur Asseraf, Electric News in Colonial Algeria, Oxford, Oxford University Press, 2019.

2 Omar Carlier, « “Homme fétiche” ou “Homme-symbole” ? Un notable-militant : Houari Souiah, Premier préfet d’Oran (1915‑1990) », Cahiers de la Méditerranée, n° 46‑47, 1993, p. 203-247.

3 On corrigera les quelques coquilles qui ont échappé à la relecture : Edmond pour Théodore Roustan, p. 25 ; hal pour ‘alâ, p. 179, le 9 avril 1934 pour 1938, p. 224.

4 Natalie Zemon Davis, Trickster Travels : A Sixteenth-Century Muslim Between Worlds, New York, Farrar, Straus and Giroux (FSG)/Hill and Wang, 2006 ; traduit en français sous le titre : Léon l’Africain. Un voyageur entre deux mondes, trad. Dominique Peters, Paris, Payot et Rivages, 2007.

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